Le Ventoux et les Noyaux, 2ème partie
Mais moi, je suis dans un autre monde… Mon grand-père qui a fait la guerre 1914-1918 m’a dit un jour :
-Si tu veux couper ta soif, eh bien quand tu manges des cerises, gardes les noyaux en bouche !!
Là, j’étais avec mon grand-père qui fut mon confident, mon copain. C’était il y a juste 100 ans qu’il partait au combat avec ses deux frères mais il en revint seul.
Alors, je me suis dit : Grand-Père, toi, tu as fait quatre ans de guerre, et moi, si je ne suis pas capable de souffrir quelques heures, je suis nul…. Je suis parti, j’ai enclenché mes pédales, la fleur au guidon et mes noyaux dans la bouche.
Je progresse doucement mais sûrement et quelques kilomètres plus loin, je vois un cycliste arrêté sur le côté, c’était Gérard (encore), Gégé pour les intimes. Je m’arrête aussi :
-Qu’est ce qui se passe ?
-Oh, bah, je ne vois pas l’intérêt de souffrir autant sur un vélo !
J’essaie de le rassurer, de le motiver, mais que nenni, mettant son vélo dans l’autre sens, je ne le vis que 3 heures plus tard, frais et dispo devant un bon demi.
La montée, c’est dur. Le cardio va plus vite que les tours de pédales. Guy m’a donné un conseil : « Tu prends un rythme et tu moulines ! »
Il est gentil, mais quand tu n’as plus rien à l’arrière…. Enfin, j’ai mes noyaux et mon compagnon centenaire…
Les hectomètres défilent tout de même, les kilomètres aussi, l’environnement est tout en verdure, la route est bordée de chênes lièges et on a tout le temps de respirer ce bon air provençal. La circulation n’est pas intense, des cyclistes qui montent en silence, d’autres qui descendent à tombeau ouvert et j’attends le fameux chalet Reynard où à partir de là, m’a-t-on dit, le paysage change et devient exclusivement minéral.
La pente est vraiment raide, pas de répit. Les arrêts s’imposent. Même notre géant vert (Yves) a mis pied à terre.
Enfin, je l’aperçois, ce fameux chalet Reynard que les pros attendent aussi. Là, je me dis que c’est gagné, quoiqu’il reste encore 6 kilomètres difficiles, très durs. Mais avec mes noyaux que je salive, ça va le faire, ça va le faire!
Un coup d’œil à la stèle de Tom Simpson sans lâcher le guidon car à 6 kms/h, c’est pas prudent .
Le sommet se rapproche, l’antenne rouge et blanche au bout de ce désert de pierres blanches, j’aperçois mes amis cyclos tout là-haut qui m’encouragent pour les derniers hectomètres, dans un paysage lunaire, je n’en peux plus de cette dernière rampe, mais quel plaisir d’arriver là au milieu d’eux !!!
Ils sont là, les cinq, un peu grelottant. Il fait un peu frisquet près de la pancarte "Sommet 1913m".
Daniel B est arrivé depuis longtemps, sans un seul arrêt. Normal, il a un vélo de pro, celui de Samuel Dumoulin… (c’est désormais moi qui roule avec…) Une pensée pour l’ami Michel qui depuis nous a quittés, qui a dû se dire :« On n’accélère pas dans les côtes ! »
Une photo pour immortaliser l’évènement .
Merci grand-père pour les noyaux, j’ai mis 2h45, mais bon sang, je n’ai pas lâché!
Et c’est la grande descente vers Malaucène.
Encore une fois, je crois être le dernier, eh bien non, je suis rattrapé par Jean qui déboule et nous sommes à près de 70 km/h. Tout à coup, je le vois en grande difficulté dans un virage à droite, le voilà complètement déporté à gauche tandis qu’arrive une voiture en face de lui. Miraculeusement, ça passe. Arrêté sur le côté, je me précipite :
« -Qu’est ce qui s’est passé ? »
« - J’ai crevé de la roue avant ! »
Sans pouvoir commenter davantage l’incident tant la peur l’a tétanisé.
Si bien que la réparation fut catastrophique, impossible de démonter le pneu avec la fébrilité encore palpable, une pompe qui ne fonctionne pas. Bref, la totale.
Arrivés ¼ d’heure après les collègues attablés devant un demi.
« -Alors qu’est-ce que vous foutez ? »
« -Jean va vous expliquer ».
Et Jean de partir dans une longue tirade : « J’ai crevé de l’avant mais ça passe … »
Ouf, quelle journée exceptionnelle tant pour les émotions que pour les efforts accomplis!
Merci Grand-Père
Daniel Groyer